Dumouchel, Albert, 1916-1971 : Albert Dumouchel est né en 1916 à Valleyfield, Québec, fils de Joseph Albert Dumouchel et d'Ernestine Leclaire, deux ouvriers de l'usine de textiles Montreal Cotton's Ltd. Quatrième de cinq enfants, Ovila, Hervé, Marguerite, Albert et Dorothy, il fait son cours classique au Séminaire de Valleyfield. En juin 1943, il épouse l'artiste Suzanne Beaudoin avec qui il a deux fils : François et Jacques. Après plus de vingt ans ensemble, le couple divorce en 1965 et Dumouchel se lie à l'artiste Monique Charbonneau. Il décède peu après, à Saint-Antoine-sur-le-Richelieu, en janvier 1971.
Éduqué d'abord en chant, Albert Dumouchel se tourne plus sérieusement vers le dessin et la peinture lorsque son état de santé fragile l'oblige à laisser ses ambitions musicales. Artiste autodidacte depuis l'âge de quatorze ans, il développe ses connaissances en s'adonnant à la copie et aux créations originales. De 1937 à 1942, il enseigne le dessin en cours du soir au studio d'art du Collège Saint-Thomas d'Aquin de Valleyfield; il en devient le directeur de 1942 à 1949. En 1938 et 1939, il gagne un total de quatre prix aux expositions d'art amateur de Valleyfield. C'est également en 1939 qu'il rencontre Suzanne Beaudoin et qu'à travers elle, il se fait présenter des membres de la communauté artistique de Montréal dont de Tonnancour et Pellan. Toujours à Valleyfield en 1940, Albert Dumouchel obtient un emploi à titre de dessinateur de l'atelier de dessin et d'impression des tissus de la Montreal Cotton's Ltd. Il y travaille en compagnie de l'artiste Edmundo Chiodini, sous la supervision de l'artiste / graveur James Lowe. C'est Lowe qui initie Dumouchel à la gravure en faisant transporter sa presse à l'usine pour que le jeune artiste puisse s'y pratiquer pendant ses temps morts. En raison du coût élevé du zinc, les premières gravures de Dumouchel sont faites sur du plastique transparent; les oeuvres datent de 1942.
Au cours de cette même année, Dumouchel devient professeur de dessin les samedis à l'École des arts graphiques de Montréal nouvellement fondée par le père de Suzanne, Louis-Philippe Beaudoin. Il y accepte un poste à temps plein en septembre 1944; en plus du dessin, on lui confie l'enseignement de la composition décorative et la gravure. À cette époque, le style gravé de Dumouchel commence tout juste à se différencier de son style pictural; on remarque un intérêt croissant pour les atmosphères et les impressions et une attention moins portée sur le détail. À l'École, sa démarche pédagogique ainsi que celle de son collègue Arthur Gladu se fait remarquer; ensemble, ils travaillent à développer l'approche artistique des étudiants en plus de leur inculquer les techniques du métier d'imprimerie. Par conséquent, l'École des arts graphiques vit un essor de créativité entre 1946 et 1949; ses élèves reçoivent nombreux prix de concours d'arts graphiques au Canada et aux États-Unis. Alors que l'École des beaux-arts de Montréal n'enseigne que la gravure sur bois et l'eau-forte, Dumouchel à l'École des arts graphiques fait découvrir la gravure sur bois, la sérigraphie, la linogravure, la pointe sèche, la photolithographie et l'eau-forte.
Membre du groupe d'artistes liés à Pellan, Dumouchel délaisse temporairement la gravure entre 1945 et 1950 afin de perfectionner son esthétique en dessin et en peinture. Il étudie entre autres les oeuvres de Matisse, Bonnard, Pellan et surtout, Klee. Sa participation à l'Exposition de la jeune peinture canadienne à Montréal en 1945 mérite des éloges de la critique; sa formation autodidacte semble lui avoir conféré un style distinct des esthétiques prônées par Pellan et Borduas. Malgré cela, Dumouchel maintient son affinité pour l'idéologie et l'esthétique de Pellan et signe le manifeste Prisme d'yeux en 1948. Sa renommée en tant qu'artiste peintre retentit; en 1951, il est invité à l'Exposition Internationale du Groupe COBRA à Liège.
Malgré son succès en peinture, Albert Dumouchel revient graduellement à la gravure après 1950 avec un style plus approfondi. Ses recherches continues en technique d'imprimerie à l'École des arts graphiques et son étude d'esthétiques d'artistes comme Klee en sont d'une part responsables. Il utilise la couleur dans une estampe pour la première fois avec Fleurs en 1950. Il fait également quelques tentatives de photographie et reçoit de bonnes critiques lorsqu'il les présente en exposition. Vers 1955, il expose ses oeuvres gravées pour la première fois en Europe à la Deuxième exposition internationale de gravure et de dessins de Lugano, en Suisse. La même année, l'UNESCO lui octroie une bourse d'études en gravure de six mois; emmenant sa famille avec lui, il choisit Paris. Il visite de nombreux ateliers avec Suzanne : l'atelier de Bozidor Jakac à Ljubljana en Yougoslavie, l'atelier de Roger Lacourière, l'atelier 17 de Stanley Hayter, l'atelier Leblanc, l'atelier d'Edmond Desjobert et l'atelier de Johnny Friedlander. Il prend également le temps de participer à la Première exposition internationale de gravure au Musée d'art moderne de Ljubljana à titre de représentant officiel du Canada.
De retour à Montréal, il accepte d'enseigner la gravure et la lithographie à temps partiel à l'École des beaux-arts de Montréal entre 1956 et 1957, gardant toujours son poste à l'École des arts graphiques qui, depuis 1956, a pris le nom d'Institut des arts graphiques. À l'été 1957, il repart pour Paris avec Suzanne et ses beaux-parents. Pour un mois, il travaille à l'atelier d'Edmond Desjobert et parfait ses connaissances en lithographie. Après son séjour en France, il reprend ses responsabilités aux deux écoles d'art à Montréal ; il est promu chef de la section d'art appliqué à l'imprimerie à l'Institut des arts graphiques. Comme avant son premier départ pour Paris, il continue à participer a maintes expositions; ses tableaux sont les plus nombreux à paraître, mais ses gravures prennent de plus en plus d'importance. En novembre 1958, il fait une exposition solo de ses plus récentes oeuvres à la Galerie Denyse Delrue; on y trouve tableaux, dessins, gravures et estampes. La critique les encense : on admire l'évolution incessante de l'artiste, sa capacité de se renouveler, la complexité et la finesse de ses oeuvres imprimées. En 1960, il participe à la Biennale de Venise.
À l'automne 1960, Albert Dumouchel et Arthur Gladu démissionnent de l'Institut des arts graphiques en raison de changements instaurés par le nouveau directeur, Lucien Normandeau. Presque aussitôt, Dumouchel est embauché à titre de chef de la section de gravure à l'École des beaux-arts de Montréal qui était demeurée latente depuis le décès de sa responsable, Alyne Gauthier Charlebois, en 1955. Aussi en 1960, l'Association des peintres graveurs de Montréal est fondée, presque entièrement formée des anciens élèves de Dumouchel. Ce dernier, conscient du manque de reconnaissance qui existe toujours à l'égard de la gravure, organise avec eux une exposition didactique qui parait à l'Étable du Musée des beaux-arts de Montréal en décembre. Exposant pour la première fois oeuvres et instruments de travail, le projet devient un grand succès auprès de la critique et du public montréalais.
En février 1961, le Musée des beaux-arts de Montréal présente une rétrospective des oeuvres de 10 dernières années d'Albert Dumouchel. En mars, la Galerie Agnès Lefort offre une exposition des oeuvres les plus récentes de l'artiste. La diffusion des oeuvres de Dumouchel à l'international continue également : entre autres, il participe toujours à la Biennale de la gravure de Ljubljana a titre de représentant du Canada. La critique, tant au pays qu'à l'étranger, remarque et apprécie le sens de curiosité et d'exploration esthétique dont fait preuve l'artiste. Un des plus grands honneurs lui provient de la section de gravure de l'Académie des beaux-arts de Florence qui, en janvier 1965, lui confère le titre de membre honoraire.
En 1965, Albert Dumouchel continue à créer, favorisant les libertés que lui accorde la lithographie. Inspiré du Pop Art, il se lance dans des séries où l'amour, la famille et l'humour jouent un grand rôle. Trente-six lithographies résulteront de ses travaux. Il les expose à Ljubljana, à Santiago au Chili et à sa première exposition solo à New York. Les critiques sont généreuses à l'étranger, mais moins élogieuses à Montréal où, en 1967, l'exposition des lithographies de 1965 à la Galerie 1640 déconcerte la critique qui accuse Dumouchel de manquer d'engagement. Après avoir travaillé en peinture de 1966 à 1967, l'artiste se consacre à la gravure sur bois vers la fin de 1967. Il continue à y explorer une esthétique et une thématique inspirées du Pop Art, produisant des oeuvres figuratives hautement colorées ainsi qu'une série sur le couple et l'érotisme qui atteint un réalisme quasi-documentaire. En 1969, il continue d'innover dans sa technique en effectuant de la pointe-sèche sur plexiglass, un matériau prometteur. Sa dernière oeuvre est cependant un bois gravé, la belle Hélène, qu'il termine en 1970, moins d'un ans avant son décès inattendu.