Vaudreuil à Wolfe. L.S. Il proteste contre les dires de Wolfe qu'il viole le cartel, il n'a rien à se reprocher à ce sujet. Il ne peut rien ajouter à ce que dit Wolfe sur les services que l'on demande aux Indiens. Des deux côtés, les Indiens combattent pour leur patrie, et les Anglais comme les Français ne peuvent faire autre chose qu'empêcher autant que possible leurs cruautés. Beaucoup d'officiers et de soldats français ont été massacrés par les Indiens, alliés des anglais. Dans l'Amérique du Nord les armées anglaises ont toujours eu et ont encore avec elles de nombreuses bandes d'Indiens.
A Carillon, le général Abercrombie en avait 500 sous les ordres du colonel Johnson alors qu'il y en avait que 16 du côté français. Si Wolfe n'en a point avec lui, c'est la première fois qu'une armée ne compte point d'Indiens dans ses rangs; la chose est d'ailleurssans importance pour Vaudreuil. Il n'a aucun reproche à faire aux anglais de ce qu'ils emploient des Indiens. Des deux côtés, on a toujours cherché à en allier le plus grand nombre possible et les cruautés inévitables qui en résultent sont regardées par les officiers et les soldats français comme un des hasards de la guerre.
Si les Indiens alliés des Anglais enlèvent des familles et des enfants, comme ils ont fait par exemple l'année dernière à Laprairie, ils n'ont pas agi autrement que ne l'avaient fait les Indiens alliés des Français à Germinflake (German Flats). Il resterait cependant surpris si les troupes anglaises faisaient la même chose. Les Français n'ont jamains agi de cette façon. Bien loin de payer pour des scalpes les Français ont donné jusqu'à cent écus et même davantage pour arracher des prisonniers d'entre les mains des Indiens. Ils se sont appliqués à ne pas imiter la conduite du gouverneur Shirley de Boston, qui dans une épouvantable et barbare allocution qu'il prononça devant des Indiens, promit de grosses sommes d'argent à tous ceux qui lui apporteraient des têtes de Français. C'est un exemple qui n'est que trop connu en Europe.
Au sujet de l'accusation de Wolfe que des Français se déguisent en Indiens et prennent leurs manières et leurs coutumes, Vaudreuil assure que tel n'a jamais été le cas. Vaudreuil demande comment il se fait, puisqu'il n'y avait pas d'Indiens dans l'armée anglaise, que le lendemain du 26 juillet, l'on ait trouvé les cadavres de deux Ottawas et d'un Canadien atrocement mutilés.
Wolfe a dit qu'il ne se conformerait pas au cartel car il craint que ses blessés ne reçoivent pas les soins convenables. Vaudreuil proteste et l'assure que dans les hôpitaux ils sont traités absolument comme les blessés français. Quant à l'allégation de Wolfe que les deux souverains ne pouvaient avoir prévu les conditions particulières de cette guerre, Vaudreuil la nie et il insite qu'ils avaient convenu que le cartel devrait être observé dans toutes les parties du monde. Amherst en exécute les conditions et lui renvoie les prisonniers qui ont été faits à Germinflake (German Flats) et en d'autres lieux; Vaudreuil agit de même pour les prisonniers faits à Carillon.
Quant à l'allégation de Wolfe qu'il faisait la sorte de guerre qu'avait choisie Vaudreuil, il déclare qu'il l'a toujours faite avec la plus grande humanité, selon d'ailleurs la coutume traditionnelle tant d'un côté que de l'autre, en Amérique. Wolfe peut faire la sorte de guerre qu'il lui plaira, mais quelle que soit sa façon d'agir, il ne parviendra ni à terroriser les Français, ni à les rendre plus barbares. Il s'apitoye seulement sur le sort des prisonniers dans les deux camps car les Français exerceront des représailles si on les y oblige.
Si Wolfe change d'idée sur la question du cartel, Vaudreuil lui enverra un officier pour débattre ce sujet avec qui il lui plaira de désigner.
Vaudreuil dit qu'il a fait remettre à Ochterloney ses lettres et ses bagages. Le soldat français avait prévenu la générosité de Wolfe par son refus de recevoir quelque récompense que ce soit d'Ochterloney. Ce soldat n'a fait que son devoir. Il a exécuté les ordres que reçoivent tous les soldats français de se toujours conduire avec la plus grande humanité. Si la chose était possible Vaudreuil voudrait pouvoir inculquer les mêmes sentiments aux Indiens; il est certain que si la chose pouvait se faire les généraux anglais agiraient de même. Il n'appellera pas assassinats, comme Wolfe l'a fait le massacre par les Indiens d'un grand nombre d'officiers et de soldats français. Ils sont tombés victimes des hasards de la guerre. Wolfe peut avoir l'esprit en repos au sujet des officiers et des soldats blessés. Ils ne manqueront de rien. Les généraux anglais avec qui il a été en rapport lui ont exprimé leur reconnaissance pour ce qu'il a fait à ce sujet.