Mémoire sur les affaires présentes du Canada et l'établissement du Cap-Breton par Raudot. Le commerce du castor, sur lequel a pivoté la prospérité du pays, est nécessairement une ressource précaire; tôt ou tard devait résulter ou la rareté de ce produit ou l'avilissement de son prix. La colonie souffre actuellement de l'avilissement du prix. Ce commerce peut se relever mais retombera certainement dans l'une ou l'autre de ces fâcheuses alternatives. L'agriculture devait être l'objet principal, elle n'a été que l'accessoire. C'est le contraire qui s'est fait dans les colonies voisines. Le castor a toujours été considéré ici comme la mine d'or, chacun a voulu en prendre sa part. Les habitants ont couru les bois, préférant cette vie avantureuse qui leur rapportait beaucoup de profits avec peu de travail, à la culture de la terre qui exige un labeur assidu. Il en est résulté des habitudes d'oisiveté et de négligence. Il y a cependant une assez grande quantité de bestiaux et aisance quant à la nourriture, mais grand gêne quant à l'habillement. Le commerce du pays roule sur la somme de 650,000 livres et c'est avec cette somme qu'il doit solder ses achats en France. C'est peu de chose pour une population de 18 à 20,000 âmes. Autrefois cette somme était beaucoup plus forte, avec moins de monde pour se la partager. Tout se paie avec des traites qui servent à payer les marchandises achetées en France, de sorte que l'argent ne vient même plus de ce côté. Les marchandises sont très chères, et cependant l'habitant ne veut travailler qu'à gros salaire, disant qu'il use plus de hardes en travaillant qu'il n'en peut gagner par son travail. Le remède à cet état de choses est de pousser la population à la production du blé, des bestiaux, des bois, du poisson, des huiles, à la construction des vaisseaux en lui trouvant des débouchés. Ne pas s'attacher de trop près à l'intérêt présent de la France, l'intérêt et la prospérité de la colonie devant tôt ou tard faire la prospérité de celle-là. L'argent qui se fera ici passera toujours en France, c'est l'essentiel. L'établissement du Cap-Breton contribuera grandement à donner au Canada ce débouché. Le commerce que produira cette île est infini, puisque celui du poisson et des huiles ne se peut limiter. Elle a du charbon de terre, du porphyre, du plâtre, des bois de construction. Elle consommera ce que produira le Canada sans jamais lui nuire. Elle sera l'entrepôt des marchandises de France, la sentinelle avancée pour protéger la marine française en temps de guerre. Ferait un grand tort à la colonie de Boston, qui ne tire pas le chargement de 3 navires par année du poisson pris sur ses côtes. Longue exposition des avantages multiples de cet établissement et des moyens de procéder, avec en marge les remarques du ministre.