Canada. Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme : La Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme a été créé en vertu du décret du conseil C.P. 1106, 19 juillet 1963, en vertu de la Partie 1 de la Loi sur les enquêtes (S.R.C., 1952, ch. 154) et sur la recommandation du premier ministre. La Commission était mandatée pour enquêter et de faire rapport sur l'état présent du bilinguisme et du biculturalisme au Canada et recommander les mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe d'après le principe de l'égalité entre les deux peuples qui l'ont fondée, compte tenu de l'apport des autres groupes ethniques à l'enrichissement culturel du Canada, ainsi que les mesures à prendre pour sauvegarder cet apport; en particulier : 1) faire rapport sur l'état et la pratique du bilinguisme dans tous les services et institutions de l'administration fédérale - y compris les sociétés d'État - ainsi que dans leurs contacts avec le public, et présenter des recommandations de nature à assurer le caractère bilingue et fondamentalement biculturel de l'administration fédérale; 2) faire rapport sur le rôle dévolu aux organismes publics et privés, y compris aux grands organes de communication, en vue de favoriser le bilinguisme, de meilleures relations culturelles, ainsi qu'une compréhension plus générale du caractère fondamentalement biculturel de notre pays et de l'apport subséquent des autres cultures; présenter des recommandations en vue d'intensifier ce rôle; et 3) discuter avec les gouvernements provinciaux, compte tenu de ce que la compétence constitutionnelle en matière d'éducation est conférée aux provinces, des occasions qui sont données aux Canadiens d'apprendre le français et l'anglais et présenter des recommandations sur les moyens à prendre pour permettre aux Canadiens de devenir bilingues. Les commissaires étaient André Laurendeau et Arnold Davidson Dunton, co-présidents; père Clément Cormier, Royce Frith, Jean-Louis Gagnon, Gertrude M. Laing, Jean Marchand, Jarosiav Bohdan Rudnyckyj, Frank Reginald Scott et Paul Wyczynski. Le 22 novembre 1965, Paul Lacoste fut nommé commissaire en remplacement de Jean Marchand qui avait démissionné le 21 septembre. Le 8 octobre 1968, Jean-Louis Gagnon fut nommé coprésident et André Raynauld commissaire, après le décès d'André Laurendeau, le 1er juin (Décrets du conseil C.P. 2074, 22 novembre 1965 et C.P. 1926, 8 octobre 1968). Les secrétaires étaient Paul Lacoste et Neil M. Morrison.
Dans l'éditorial du Devoir du 20 janvier 1962, André Laurendeau réclamait une commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Laurendeau, qui allait devenir co-président de la commission royale, traitait dans son article de la participation des Canadiens français à la Confédération et, en particulier, à la Fonction publique fédérale et aux organismes gouvernementaux connexes. L'éditorial, qui suggérait une étude en profondeur de cette question, ne manqua pas d'éveiller l'intérêt du public. Comme l'affirmait Gérard Pelletier, ancien journaliste et ministre du Cabinet libéral, Laurendeau posait le problème avec clarté, persuasion et calme, tout en ne cachant pas l'urgence de l'action qu'il recommandait. Laurendeau et d'autres Canadiens français voulaient, entre autres choses, que la dualité culturelle du Canada soit officiellement reconnue. Ces revendications poussèrent Lester B. Pearson à passer à l'action. Les motifs de Pearson étaient d'ordre politique, affirme Patricia Smart, qui ajoute que, dans l'opposition, les Libéraux s'engagèrent dans cette voie, d'une part pour récupérer le vote du Québec cédé à Diefenbaker en 1957, et, d'autre part, parce que le chef libéral Lester B. Pearson et ses conseillers étaient convaincus de la nécessité d'établir de nouvelles relations avec le Québec.
A l'automne 1962, Maurice Lamontagne, député d'Outremont-St-Jean, prépara un discours que Pearson prononça à la Chambre des communes, le 17 décembre 1962. Il y suggérait qu'une enquête générale sur la question du bilinguisme et du biculturalisme au Canada soit menée en consultation avec les provinces. Pearson déclarait qu'il était clair pour tous que les Canadiens français étaient déterminés à prendre en main leur destin économique et culturel dans leur propre société renouvelée et encore en pleine mutation; qu'ils demandaient aussi la possibilité de participer équitablement à tous les services du gouvernement et d'y faire pleinement reconnaître leur langue, ce droit découlant du principe de l'égalité des partenaires dans la Confédération.
De l'avis de Pearson, le Canada avait atteint un stade où il fallait revoir sérieusement et collectivement la situation du bilinguisme et du biculturalisme, ainsi que les expériences vécues dans l'enseignement du français et de l'anglais et dans les relations entre les deux peuples fondateurs. Selon l'orateur, l'étude devrait aussi encourager les Canadiens, que ce soit individuellement ou regroupés en associations et organismes, à exprimer leur point de vue sur la situation, et leur en fournir la possibilité. Si la situation était jugée insatisfaisante, ils auraient à suggérer des mesures concrètes pour l'améliorer et parvenir à une participation équilibrée des deux peuples fondateurs aux affaires nationales.
Le discours de Pearson suscita des réactions généralement favorables. Aussi, lorsque les Libéraux prirent le pouvoir, en avril 1963, la mise sur pied d'une commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme devint une priorité de la nouvelle administration. Le 15 mai, le premier ministre Pearson écrivit à tous ses homologues provinciaux, les consultant sur le mandat proposé à la commission royale, lequel était beaucoup plus vaste que celui que suggérait Laurendeau. Cette démarche s'imposait du fait que l'enquête devait comporter une étude de l'éducation, domaine de compétence provinciale. Le 12 juin 1963, avant que les réponses des premiers ministres aient été rendues publiques, Lamontagne annonçait à la Chambre des communes qu'un comité du Cabinet avait déjà été formé pour encourager le bilinguisme dans la Fonction publique. Puis, le 10 juillet, le premier ministre déposa au Parlement les lettres qu'il avait échangées avec ses homologues provinciaux. La plupart d'entre eux approuvaient le mandat proposé, mais E.C. Manning, premier ministre de l'Alberta, exprimait de sérieuses réserves. Néanmoins, le 22 juillet, Pearson annonça la constitution de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, avec, comme coprésidents, Davidson Dunton et André Laurendeau.
Selon l'historien John T. Saywell, le mandat de la commission d'enquête était très imprécis. A l'instar d'autres observateurs, Saywell trouvait ce mandat décevant, trop étriqué, et tous soulignaient que les dimensions du problème dépassaient les limites étroites d'une enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme.
D'après l'historien, les commissaires eurent l'impression de devoir remodeler l'État, non seulement son cadre, mais aussi ses fondations. Dans leur premier document de travail, ils ont clairement indiqué qu'ils étaient moins préoccupés par les aspects étroits du bilinguisme et du biculturalisme que par l'idée d'un partenariat égal, qu'ils désignèrent comme étant l'idée-force de la commission, et ils notèrent avec un certain plaisir qu'à la différence des commissaires Rowell et Sirois, ils ne se sentaient pas limités par les termes de leur mandat. (Voir Gérard Pelletier, "The Kick-Off", Language and Society, Rapport spécial sur le 25e anniversaire de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme et le 20e anniversaire de la Loi sur les langues officielles, Commission des langues officielles, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1989, été 1989, p. R-9; John A. Munro et Alex I. Inglis, éd., Mike : The Memoirs of the Right Honourable Lester B. Pearson, vol. 3, 1957-1968, Toronto, University of Toronto Press, 1975, p. 67-69; John T. Saywell, "The Royal Commission on Bilinguism and Biculturalism", International Joumal, Institut canadien d'affaires internationales, vol. XX, no 3, été 1965, p. 378-382; et The Diary of André Laurendeau, écrit à l'époque de la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme, 1964-1967. Textes choisis et présentés par Patricia Smart. Traduction de Patricia Smart et Dorothy Howard, Toronto, James Lorimer and Company, 1991, p. 1-11 et 18-29).
Une audience préliminaire eut lieu à Ottawa, les 7 et 8 novembre 1963. De janvier à mars 1964, les commissaires rencontrèrent les dix premiers ministres provinciaux et les ministres de l'Éducation. D'autres réunions régionales furent convoquées dans vingt-trois centres régionaux du Canada, du 18 mars au 16 juin 1964. Finalement, la commission tint ses audiences du ler mars au 16 décembre 1965 à Moncton, Halifax, Québec, Montréal, Ottawa, Toronto, Winnipeg, Regina, Edmonton et Vancouver. Elle reçut plus de 400 mémoires. Collection de l'inventaire général de RG33-80.