Canada. Ministère des munitions et approvisionnements : Durant la première session parlementaire de 1939, le gouvernement adopta la loi de 1939 sur les achats et le financement de la Défense et sur le contrôle des bénéfices (3 Geo. VI, c. 42), qui entra en vigueur le 14 juillet 1939. Cette loi créait le Conseil des achats de défense (CAD), organisme central formé de cinq membres qui devait s'occuper de commander le matériel et les fournitures nécessaires pour permettre au Canada de jouer son rôle au cours de la guerre qui était imminente.[Notes sur l'activité de la Commission des approvisionnements de guerre, RG 28, vol. 6, dossier 17] Le CAD détenait le pouvoir exclusif de signer, moyennant l'accord du gouverneur en conseil, les contrats d'une valeur de plus de 5 000 $, tandis que le ministère de la Défense nationale conservait le pouvoir de signer les contrats plus modestes. Comme le temps pressait, le gouvernement recruta les acheteurs de la CAD principalement au service des achats de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada; les commis furent recrutés au sein de la fonction publique et ailleurs. Son opportunisme fut récompensé; la première réunion du CAD fut convoquée le 18 juillet 1939. Le CAD commença presque aussitôt à passer des commandes de matériel et de fournitures. Une fois la guerre déclarée, le mandat du CAD fut modifié afin d'y inclure les achats urgents et le pouvoir exclusif de négocier les contrats d'une valeur inférieure à 5 000 $, à la suite de quoi la division des marchés du ministère de la Défense nationale fut transférée au CAD [The Industrial Front, janvier 1942, p. 5]. La guerre stimula l'activité du CAD, car plus des deux tiers de toutes les commandes passées durant l'existence du CAD le furent après le début de la guerre [Bothwell et Kilbourn, C.D. Howe, p. 123].
Dans la foulée de la déclaration de guerre, le Parlement, estimant qu'il fallait confier à un ministère plutôt qu'à un organisme quasi indépendant la responsabilité de coordonner la fabrication et les achats, se dota d'un service central des approvisionnements. Toutefois, comme la portée
des engagements de guerre du Canada n'était pas encore claire, un organisme provisoire fut créé par décret le 15 septembre 1939. Il s'agissait de la Commission des approvisionnements de guerre (CAG), organisme formé de cinq membres qui devait demeurer en place jusqu'à la création d'un organisme permanent. La CAG fut mise sur pied en deux semaines; le 1er novembre 1939, elle avait intégré tout le personnel du CAD, dont elle assumait toutes les fonctions, en plus de pouvoirs plus vastes qui lui permettaient de garder la haute main sur l'industrie. [Note à tous les chefs des ministères et employés de la Commissions des achats de défense, 31 octobre 1939, RG 28, vol 33, dossier 1-1-1] La CAG releva du ministre des Finances jusqu'au 16 novembre, date où le premier ministre King, croyant que C.D. Howe, le ministre des Transports, était l'organisateur industriel le plus compétent au sein du gouvernement, le muta à son ministère. Entre-temps, la définition d'approvisionnements de guerre essentiels fut élargie, des procédures détaillées de passation de marchés furent définies et la CAG fut habilitée à acheter du matériel et des fournitures au nom du Royaume-uni et de la France.
Le ministère des Munitions et des Approvisionnements (MMA), l'organisme de coordination au rang de ministère dont le gouvernement avait prévu la création, fut créé par la Loi sur le ministère des Munitions et des Approvisionnements (c. 3, 1939 tel que modifié par c. 31, 1940). Même si elle fut adoptée en septembre 1939, elle ne fut proclamée que le 9 avril 1940 _ le jour où l'Allemagne a mis fin à la " drôle de guerre " en envahissant le Danemark et la Norvège. Le MMA a hérité de toutes les responsabilités de son prédécesseur ainsi que des contrats en cours. Un transfert sans heurt a été assuré par suite de la nomination de Howe comme ministre des Munitions et des Approvisionnements, parallèlement à celle de plusieurs membres de la CAG au nouveau ministère. Lettre; Contrôleur et secrétaire à Edwin Wakefield, 10 mai 1940, RG 28, vol. 47, dossier 1-1-43] Le MMA reçut le mandat d'effectuer tous les achats de défense, de mobiliser et de coordonner l'industrie et de conserver les approvisionnements d'une importance cruciale.
Le prestige du MMA au sein du gouvernement, qui dans une large mesure tenait à la forte personnalité de Howe, se traduisait par de vastes pouvoirs interventionnistes, dont celui de nommer des " contrôleurs ", c'est-à-dire des experts en gestion issus du secteur privé, pour surveiller des industries, des matériels ou des entreprises spécifiques. Le MMA était habilité à exiger des sociétés la production de documents et de comptes, ce qui lui permettait de déterminer les pratiques non efficientes et de nommer des contrôleurs afin d'y remédier. En tant que service des achats, le MMA pouvait contraindre des fournisseurs à accepter des " prix justes et raisonnables " pour n'importe quelle marchandise jugée nécessaire pour la poursuite de la guerre. Une bonne partie des succès du MMA est attribuable à la nomination par Howe de certaines des personnalités les plus compétentes du monde des affaires _ moyennant un salaire annuel de un dollar chacun _ comme contrôleurs et chefs de diverses directions générales du MMA [Bothwell and Kilbourn, pp. 129 à131].
Cet afflux d'hommes d'affaires vers la fonction publique eut pour effet de modifier le mode de fonctionnement du gouvernement canadien. Une modification apportée à la Loi sur le ministère des Munitions et des Approvisionnements le 18 mai 1940 habilita le ministre à créer des corporations de la Couronne pour faciliter l'exécution du mandat du ministère et la satisfaction des besoins en capacité de production. [C.P. Stacey, Arms Men and Government, p. 502. Également " Modification à la DMS Act, 18 mai 1940, RG 28, vol 47, dossier 1-1-43]. C'est Gordon Scott, l'ex-trésorier du Québec, que Howe avait recruté au MMA, qui lui avait donné l'idée de créer des corporations de la Couronne. Scott, qui croyait que les hommes d'affaires recrutés par Howe ne seraient pas dépaysés au sein d'une telle structure d'entreprise, confondit les sceptiques en soutenant que la Société Radio-Canada et les Lignes aériennes Trans-Canada, deux sociétés détenues en propriété exclusive par le gouvernement, n'étaient des corporations de la Couronne que de nom. En dépit du fait qu'elles étaient en apparence indépendantes, les corporations de la Couronne étaient sans but lucratif, leur seul actionnaire était le ministre, leurs budgets étaient approuvés par le Conseil privé et leurs comptes étaient inspectés régulièrement par le vérificateur général. Les administrateurs étaient nommés en fonction de leur connaissance d'une industrie particulière [Stacey, pp. 501-502]. Des corporations de la Couronne furent créées pour acheter, fabriquer et administrer des matières premières, de même que pour produire des armes, des navires, des avions et des véhicules de toutes tailles. Afin d'éviter la spéculation ou le truquage des soumissions, la propriété d'un grand nombre de ces corporations était gardée secrète.
La plupart des 28 corporations de la Couronne furent créées entre 1939 et 1945 pour répondre à des besoins particuliers en temps de guerre. Ces corporations furent dissoutes à la fin de la guerre, bien que certaines d'entre elles (p. ex. la Société Polymer), qui fabriquait du caoutchouc synthétique à Sarnia, en Ontario, a poursuivi son activité commerciale après 1945. Par ailleurs, d'autres sociétés, dont Eldorado Nucléaire, qui existaient déjà en 1939 et qui avaient été nationalisées en raison de leur importance pour l'effort de guerre, ont continué à exister après 1945 [Lettre; J. De N Kennedy à J.R. Nicholson, 27 novembre 1947, RG 28, vol. 6, dossier 16]. La victoire étant imminente vers la fin de 1943, le MMA créa la Corporation des biens de guerre pour vendre aux plus offrants enchérisseurs les corporations de la Couronne _ dont la valeur allait diminuer rapidement par suite du rétrécissement du marché de guerre. De façon générale, les corporations de la Couronne s'avérèrent une solution souple et efficace aux besoins en temps de guerre [Stacey, p. 502].
Au début, le MMA s'occupait d'abord et avant tout d'acheter des approvisionnements et du matériel; toutefois, lorsque la France tomba aux mains des Allemands en 1940, plus d'une centaine de programmes et de corporations furent créées afin de mettre en place rapidement des installations industrielles pouvant produire des munitions de toutes sortes. La Loi sur le ministère des Munitions et des Approvisionnements et les modifications dont elle a fit l'objet accrurent constamment les pouvoirs des contrôleurs en matière d'achat, d'expropriation, de fabrication et éventuellement d'adoption d'à peu près n'importe quelle mesure nécessaire pour promouvoir l'effort de guerre. La Commission de contrôle des industries en temps de guerre (CCITG), dont tous les contrôleurs étaient membres, fut créée le 24 juin 1940 pour coordonner les politiques industrielles et assurer un approvisionnement ininterrompu en matières premières. La CCITG est demeurée en place jusqu'en août 1941, date où ses fonctions ont été intégrées à celles de la Commission des prix et du commerce en temps de guerre (CPCTG). A compter de ce moment, la CPCTG exerça un contrôle sur les prix tandis que la CCITG fit de même pour le matériel. Les présidents et contrôleurs choisis qui, pour la plupart, étaient des membres de la CPCTG et de la CCITG siégèrent aux deux organismes [The Industrial Front, pp. 7 et 8].
Le MMA coordonnait également la coopération internationale. Pour des raisons politiques, un grand nombre de produits fabriqués au Canada contenaient des pièces américaines _ particulièrement des moteurs _ qui étaient importés en dépit de la neutralité officielle de l'Amérique. Comme un grand nombre de ces marchandises étaient destinées à la Grande-Bretagne, le MMA ouvrit au milieu des années 1940 un bureau à Londres pour coordonner ce triangle commercial. Par souci de respecter les dispositions législatives prévoyant la neutralité, le secrétaire d'État américain, Henry Morgenthau, proposa en août de cette année-là que les approvisionnements de guerre provenant des usines américaines soient achetées par le MMA plutôt que directement par l'armée canadienne. Le gouvernement devait par la suite maintenir la pratique voulant que la fonction de ravitaillement de l'armée soit confiée à des civils. La coordination de la production industrielle à l'échelle continentale, dont le MMA se chargea pour le Canada, débuta après l'entrée en guerre des États-unis en décembre 1941. Le MMA surveilla ensuite la mise en oeuvre de l'Accord de Hyde Park.
La suggestion de Morgenthau fut acceptée volontiers parce que le MMA achetait déjà du matériel et des fournitures au nom des Forces armées canadiennes, du Royaume-uni, des Dominions, des autres gouvernements alliés et du Programme d'entraînement aérien du Commonwealth. Les marchandises étaient choisies et inspectées par leurs utilisateurs futures, avant d'être achetés par le MMA au nom de ses clients. Les acheteurs réglaient leurs achats en transférant l'argent directement au ministère de la Défense nationale ou au Trésor canadien. Seul le ministère de la Défense nationale conserva une certaine autonomie en approvisionnant la marine au Royaune-uni par l'entremise du Haut-Commissariat [Stacey, pp. 496-503], jusqu'à ce que le MMA prenne la relève en mars 1942.
En juillet 1942, alors qu'il était en possession de ses pleins pouvoirs, le MMA expliquait son rôle succinctement comme suit : "fourniture de navires et de chars d'assaut, d'avions et de canons, de munitions et d'explosifs devant être utilisés par les Nations Unies sur les champs de bataille du monde entier; achat de marchandises de toutes sortes dont les forces armées du Dominion ont besoin et qui vont des fusils aux tampons en caoutchouc, des chandelles aux tapis [The Industrial Front, p. 3].
Le MMA était un ministère nécessaire en temps de guerre; cependant, en 1944, le gouvernement commença à planifier en fonction d'un contexte de paix. Le 31 janvier de cette année-là, la Commission canadienne d'exportation fut créée au sein du ministère afin de s'occuper des approvisionnements civils destinés aux gouvernements alliés. Le gouvernement prévoyait une période d'après-guerre de quatre années au cours de laquelle l'industrie canadienne serait réoutillée en fonction d'un contexte de paix; par conséquent, il créa le ministère de la Reconstruction le 30 juillet 1944 en vertu de la Loi sur le ministère de la Reconstruction (8 Geo. VI, c. 18). Le nouveau ministère était chargé de la conversion de l'industrie de même que des travaux publics et des projets de planification communautaire visant à aider les hommes et les femmes démobilisés à se réadapter à la vie civile. [Note; R.A.C. Henry à C.D. Howe, 29 octobre 1944, RG 28, vol. 179]
Comme on n'avait guère besoin après l'armistice du MMA, on fusionna ce ministère le 31 décembre 1945 avec celui de la Reconstruction, en vertu de la Loi du ministère de la Reconstruction et des Approvisionnements (9-10 Geo. VI, c. 16), pour créer le ministère de la Reconstruction et des Approvisionnements (MRA).
Au cours des années qui suivirent, les pouvoirs détenus par le MRA furent progressivement dispersés ça et là au sein de la fonction publique. En mai 1946, la Corporation commerciale canadienne (CCC), une corporation de la Couronne, remplaça la Commission canadienne d'exportation (10 Geo. VI, c. 40). En février 1947, les fonctions qu'exerçait le MRA en matière d'approvisionnement furent transférées au ministère de l'Industrie et du Commerce, qui agissait par l'entremise de la CCC. En novembre et décembre 1948, un grand nombre des corporations de la Couronne qui restaient, lesquelles avaient relevé du MRA à une certaine époque, furent transférées par décret du MRA au ministère de l'Industrie et du Commerce.
Le ministère de la Reconstruction et des Approvisionnements fut remplacé par le ministère de la Production de défense en 1951.